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    C’est un article de France, mais j’imagine que ça nous touche aussi. L’article complet est disponible ci-dessous.

    TLPL : les fonds ESG, comme GEQT ou autres, ça ne change pas grand chose…

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    FINANCE DURABLE Contre l’«arnaque du siècle», un banquier vert de rage

    Par GUILLAUME GENDRON et THÉODORE LAURENT

    1/ A quoi reconnaît-on un banquier repenti ? Il donne rendez-vous à côté d’un hôtel Kyriad, loin des palaces du triangle d’or. Celui que l’on retrouve par un matin orageux dans un café parisien l’est doublement : repenti de la finance la plus rapace, puis de celle dite «durable». A l’heure où la France et l’Europe misent sur le verdissement des marchés, soudainement préoccupés par l’état du monde, il faut écouter ce Canadien de 45 ans aux joues glabres, biceps saillants dans un tee-shirt noir, débit mitraillette volontiers digressif. Tariq Fancy trimballe une intensité de pile électrique, quelque part entre le startupper et le comique de stand-up. Dans une vie antérieure, il fut un «big shot» à Wall Street.

    Au début des années 2000, le prodige grimpe quatre à quatre les échelons de ce que la finance fait de pire, les «fonds vautour», qui planent au-dessus des sociétés en détresse, Etats en faillite et secteurs sinistrés, à l’affût des dernières gouttes de cash. «Ça m’a rendu allergique au bullshit», note-t-il. Il faudra s’en souvenir. Dix ans plus tard, à peine trentenaire, une première crise de vocation. Syndrome du «gosse fort en maths qui prenait deux bus pour aller à l’école» et qui, de bourses en promotions, s’est retrouvé sur le toit du monde sans jamais y avoir réfléchi. Le décès prématuré d’un collègue au parcours similaire, en octobre 2012, lui apprend que la vie est courte. Ce fils d’immigrants indokenyans de la banlieue de Toronto abandonne alors la cravate et crame ses économies dans la création d’une ONG, The Rumie Initiative, consacrée à l’éducation des enfants défavorisés grâce à des cours en ligne gratuits.

    En 2017, Wall Street vient à nouveau taper à sa porte. Et pas n’importe qui : Larry Fink en personne le débauche. Soit le patron de BlackRock, la plus grande société d’investissement et de gestion d’actifs au monde, dotée de droits de vote dans des centaines de conseils d’administration autour du globe. Le fils d’un vendeur de chaussures devenu roi des marchés, les mains tachées de pétrole. King Kong perché sur l’Empire State Building, un homme bien plus puissant qu’un chef d’Etat. A l’entendre, Larry Fink est alors sur le chemin de Damas, reniant les prêches de Milton Friedman, gourou du «monétarisme» et chantre de l’ultralibéralisme. Il juge désormais que la finance ne peut pas être entièrement tournée vers le profit des actionnaires, mais doit aussi prendre en compte le reste de la société alors que la planète brûle. Et, tant qu’à y être, sauver le monde ?

    Le concept est en vogue depuis une dizaine d’années, et prospère sous diverses appellations, aussi pompeuses que nébuleuses : finance «verte», «durable» ou «responsable», «investissements à impact» et enfin «révolution ESG». Trois lettres censées distinguer les bons élèves parmi les mastodontes du capitalisme mondialisé, autour des enjeux de l’environnement (E), du progrès social (S) et de la bonne gouvernance (G). L’abréviation fourretout finira par s’imposer à travers la création de nouveaux produits financiers prétendument plus vertueux, le lancement de bruyantes campagnes sociétales (de Disney à Nike, dévoyant les mouvements #MeToo ou #BlackLivesMatter), l’émergence d’index boursiers ad hoc et d’agences de notation spécialisées, la constitution de portefeuilles d’actions plus ou moins décarbonés, l’émission d’obligations vertes, la mise en place de conseils d’administration un peu moins pâles et mâles, etc.

    Larry Fink voit en Tariq Fancy la pépite à même de mener ce combat. D’abord parce qu’il est un oxymore ambulant. «Il savait que j’avais été un prédateur à mes débuts, le type qui joue des coudes avec tout le cynisme qu’il faut pour piger la finance, déroule le repenti. En même temps, j’étais celui qui avait tout laissé tomber pour monter sa petite asso.» La rencontre a lieu dans le saint des saints, le bureau du boss au siège de BlackRock, sur la 52e rue de Manhattan. «Fink me dit : “Tu peux être les deux [le financier et le philanthrope, ndlr] en même temps. Et tu auras BlackRock et ses 10 000 milliards de dollars d’actifs derrière toi.” Comment dire non à une telle proposition ? Je me suis dit qu’avec cette puissance de feu, on allait vraiment faire bouger le système.»

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      1 year ago

      2/ JETS PRIVÉS ET ÉCHARPES FANTAISIES

      Etonnamment candide ou démesurément ambitieux, Fancy devient «Chief Investment Officer» des «fonds durables» de BlackRock. A lui de déployer la vision de Fink. Ce dernier est occupé à se façonner une stature d’oracle planétaire à coups d’éditoriaux choc et d’écharpes fantaisies, rayées de bleu et de rouge pour illustrer la hausse affolante des températures. Le chic ultime à Davos. Mais dans le Gulfstream G550 (la crème des jets privés) qui le convoie de capitale en capitale pour vanter la nouvelle stratégie de Black- Rock en avalant des petits fours, Tariq Fancy, le premier apôtre, se met à douter. Et si tout ça n’était qu’un mirage, permettant surtout à sa firme de faire monter le prix de ses commissions ? Les rapports alarmants du Giec cognent dans son crâne. La dissonance avec le «verbiage brumeux» de l’ESG devient insupportable. Pour celui qui ne croit que les chiffres, force est de constater que les 100 000 milliards d’actifs estampillés ESG dans le monde n’ont pas infléchi d’un iota les prévisions apocalyptiques des experts du climat. La conclusion s’impose au financier : «Je vendais un placebo pour traiter le cancer, une distraction mortelle.» Comme tout bon Anglo-Saxon, Fancy adore les analogies sportives. Il réduit les arcanes de la finance actuelle à un match de basket où des joueurs devenus monstrueusement géants sont prêts à tout pour marquer le plus de paniers possibles, quitte à faire s’effondrer tout le stade (comprendre, la planète) et ensevelir le public (l’humanité) sous les décombres. Alors qu’il faudrait appeler l’arbitre (les gouvernements) ou redessiner la ligne des trois points (mettre en place des régulations), la doctrine ESG se résume à marteler que plus on est fair-play, plus on marque de points («tous les pros savent bien que c’est faux !»), sans qu’il y ait besoin de changer les règles. «J’ai fini par comprendre que le mantra “greed is good” [«l’avidité a du bon», le motto de Gordon Gekko, trader vorace immortalisé par Michael Douglas dans le film Wall Street, ndlr], les mecs de New York y croiront jusqu’à la fin des temps. Et s’il suffit de changer une lettre pour avoir le droit de continuer, de “greed” à “green” [vert], sans bouger sur le fond bien sûr, ils vont s’engouffrer dans la brèche.» Fin 2019, il claque la porte de BlackRock et quitte le monde de la finance une seconde fois. Durant l’été 2021, il publie en ligne son Journal secret de l’investisseur durable. Une bombe à fragmentation de quarante pages. Le Financial Times et The Economist applaudissent. Les requins de la haute finance se régalent des anecdotes acerbes sur les figures du milieu, de Masayoshi Son, le prophète déchu de Softbank, à ce «senior executive» qui essaya d’apprendre à jouer au bridge sur son iPhone en une heure chrono dans l’espoir d’approcher Fink lors d’un vol transatlantique «Mes cibles, ce sont ceux qui sont tout en haut, rationalise Tariq Fancy. D’abord parce que les ragots, ça retient l’attention. Si vous écrivez un énième papier universitaire sur l’inefficacité des produits ESG, personne ne vous écoutera. Ensuite, parce qu’aucun cadre relativement intelligent dans la finance ne croit un seul mot de ce charabia. Des tas de jeunes veulent que ça marche [un récent sondage au Royaume-Uni indiquait qu’un tiers des diplômés du secteur souhaitent travailler pour une firme «pro-ESG», ndlr]. Ils pensent qu’on peut réformer le système de l’intérieur. Ils veulent gagner de l’argent et faire le bien, et ils ont fait le constat - pas entièrement faux - que les ONG étaient dépassées. Tout ça, je peux le comprendre. Mais les PDG sont juste cyniques.» Pour preuve, malgré les beaux discours de son patron, BlackRock est encore aujourd’hui le deuxième plus gros actionnaire au monde dans les énergies fossiles. La politique des petits pas se confond avec le greenwashing chimiquement pur. Durant ce même été 2021, Woke, Inc., un autre réquisitoire «anti-ESG», est publié en librairie. Sous-titré «Plongée dans l’arnaque à la justice sociale de l’Amérique corporate», le pensum devient un best-seller, vendu à plus de 100 000 exemplaires. Son auteur, Vivek Ramaswamy, un trentenaire qui a fait fortune dans la biotech, émerge en coqueluche de Fox News et des conservateurs de toutes obédiences. Ramaswamy voit dans la ferveur autour de la finance soi-disant vertueuse une «force invisible qui gouverne la vie économique et culturelle». Pire, un mélange contre-nature de moralisme et de consumérisme. A l’entendre, «l’arnaque du siècle», terme que reprendra Elon Musk lorsque les notations ESG de Tesla s’effondreront en 2022 à cause de sa gouvernance pour le moins erratique. Et même un danger pour «la foi, le patriotisme et l’éthique travailleuse». Rien que ça. Le pamphlet brocarde pêle-mêle l’activisme LGBT de Disney et les programmes de désinvestissement dans le pétrole. Il devient la bible des opposants au «capitalisme woke», dernier épouvantail des guerres culturelles qui coupent l’Amérique en deux. Sur Fox News, les commentateurs affirment en boucle que le «big business» a viré rouge, à «l’extrême gauche» toute. Quand bien même, selon une récente étude de Harvard, 70 % des patrons américains se définissent toujours comme républicains A première vue, Vivek Ramaswamy et Tariq Fancy se ressemblent : deux enfants d’immigrés, surdoués et surdiplômés, qui dénoncent l’hypocrisie depuis le coeur du système.

      «On est d’accord sur la moitié du constat, concède Fancy. Mais pour moi, ça tient en deux bouts : 1) les ESG sont stupides et ne marchent pas. 2) C’est pour ça qu’il faut de la régulation. La droite, qu’il s’agisse des républicains, du Wall Street Journal ou de Ramaswamy, ne retient que la première partie. Le clivage partisan n’est pas mon sujet - d’ailleurs, vous remarquerez que je ne suis pas candidat à la présidentielle de 2024.» A la différence du climatosceptique forcené Ramaswamy, en lice pour l’investiture républicaine, et qui a lancé avec l’appui du milliardaire libertarien Peter Thiel un fonds baptisé Strive, rêvant d’en faire un simili BlackRock «anti-woke». Simultanément, d’autres fonds à l’agenda réactionnaire ont vu le jour, poussant le concept toujours plus loin. L’idée étant de constituer des paniers d’actions «patriotes», c’est-àdire pro-pétrole, pro-armes (l’une des startup soutenues par Ramaswamy entendait fabriquer des cartes de crédit à base de douilles), pro-police ou encore anti-discrimination positive, entre autres causes outrancières, sous prétexte de «dépolitiser la finance». L’objectif affiché : attirer les investisseurs les plus réactionnaires, à commencer par les plantureux fonds de pension des «Red States», ces Etats gouvernés par des républicains. Une vingtaine d’entre eux ont ainsi formé une alliance anti-ESG, visant spécifiquement à affaiblir BlackRock. La Floride a ainsi retiré la gestion de deux milliards d’actifs à la firme, pendant que Ramaswamy négociait avec la Caroline du Sud la mainmise sur les cotisations de ses retraités. En juin, moins d’un an après son lancement, Strive revendiquait déjà la gestion de 750 millions de dollars d’actifs. Selon la firme Morningstar, baromètre du secteur, il y aurait aujourd’hui 27 fonds «anti-woke» aux Etats-Unis.

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        1 year ago

        3/ DES FONDS VERTS «BLINDÉS DE PÉTROLIERS» En mars, la bataille s’est déplacée au Congrès américain, lorsque les conservateurs ont porté, avec succès, une loi anti-ESG, contraignant Joe Biden à utiliser le premier veto de son mandat. Le texte censuré visait à supprimer un règlement de 2021 autorisant les fonds de pension américains à prendre en compte ces critères, «dans la mesure où ces investissements seraient dans leur intérêt financier». Tiède mais déjà trop pour les républicains, dont la croisade vise avant tout le «E» de l’abréviation («environnement»), sous prétexte de protection de l’emploi dans les bassins miniers et les champs pétrolifères du pays. Et, plus généralement, en défense d’une way of life assoiffée de gazole. Ainsi, Ron DeSantis, gouverneur de Floride et principal rival de Donald Trump pour l’investiture républicaine, jurait le 1er avril que la Réserve fédérale (la Banque centrale américaine) comptait utiliser sa monnaie numérique - encore à l’état de projet - afin «d’imposer un agenda ESG» : «Si vous consommez trop d’essence, ils vous couperont le robinet en bloquant la transaction !» osait-il. Fin mai, De- Santis contre-attaquait en promulguant une loi interdisant à tout fonctionnaire floridien la promotion d’objectifs «ESG» avec de l’argent public, ou d’en confier à des fonds étiquetés comme tels. Fancy hausse les épaules. «Que les républicains s’attaquent aux ESG, après tout, c’est logique. Le plus fou, c’est que les démocrates ne s’y soient pas mis les premiers ! Comment peut-on se dire de gauche, défendre l’environnement et laisser Wall Street “greenwasher” dans les grandes largeurs ?» Au coeur du scandale se trouvent, selon lui, les agences de notation ESG. «Une tromperie extraordinaire.» Sur le même principe que les Standard & Poor’s et autres Moody’s, à coups de «AAA», «B-» et «C», des dizaines de firmes ont ainsi prospéré sur ce créneau financier, vendant au prix fort des «index ESG» aux traders, sans aucune uniformisation de leurs opaques pondérations. «Les gens pensent que les scores ESG mesurent l’impact positif des entreprises sur la planète, poursuit Fancy. En réalité, c’est tout l’inverse : ces agences calculent l’impact de la dégradation de l’environnement ou du tissu social sur le résultat financier des compagnies.

        Pour résumer, c’est une mesure du risque.» Ainsi MSCI, l’agence leader du secteur (dont le plus gros client est BlackRock), a pu distribuer des satisfecit de «durabilité» à McDonald’s, malgré les millions de tonnes de carbone dégagées par l’élevage intensif nécessaire à la fabrication de ses burgers, pour s’être tout simplement plié, en Europe, aux nouvelles normes sur les emballages plastiques (auxquelles elle était de toute façon contrainte, comme en France). Ou bien attribuer l’une des plus hautes appréciations à Coca- Cola, champion du monde de la pollution plastique selon l’ONG Break Free From Plastic. Même les pétroliers Exxon et BP s’en tirent avec de respectables notes chez MSCI. Avant sa faillite express, Sam Bankman-Fried, prince déchu des cryptomonnaies, pouvait lui aussi se targuer d’un des plus beaux scores ESG au rayon «leadership et gouvernance», alors qu’il jouait l’avenir de sa firme depuis les Bahamas, une manette de jeux vidéo entre les mains. Ce que n’ont pas manqué de souligner les imprécateurs antiwoke, également à la fête lors du crash de la Silicon Valley Bank en mars, coqueluche des fonds durables, à commencer par BlackRock qui possédait 8 % de ses actions. De fait, la plupart des valeurs technologiques, Alphabet et Meta comprises, sont généralement groupées au sein de «paniers ESG». «Pour faire joli, on vend du Big Oil et on remplace par du Big Tech, schématise Fancy. Alors que leur modèle économique, c’est de rendre nos gosses complètement accros à leurs applis : c’est ça leur “impact” sur la société.» Un eldorado financier pour Paris et Londres Tariq Fancy ne prêche pas dans le désert. Même le milliardaire octogénaire Carl Ihcan, légende noire de Wall Street (le «raider» a quasiment inventé l’OPA hostile), a qualifié le «mouvement ESG» de «plus grande hypocrisie de notre époque», après avoir cultivé un intérêt tardif pour le bien-être animal.

        En France, Julien Lefournier, ancien responsable de la salle des marchés de Paris du Crédit agricole, en est arrivé aux mêmes conclusions, consignées dans un opuscule intitulé l’Illusion de la finance verte (Editions de l’Atelier). «L’utilisation des critères ESG n’est qu’une mascarade, tranche-t-il. De la désinformation, un verdissement de la réalité qui ne correspond à rien au niveau écologique et social. Le logiciel reste strictement le même.» Voire pire ? «Grâce aux ESG, on a pu coller un prix à la raréfaction de l’eau dans le Nevada, ou aux discriminations dans le monde du travail, constate sous couvert d’anonymat un banquier français installé en Californie, spécialiste en stratégie financière. J’entends la critique de la gauche là-dessus : on laisse le marché “pricer” [anglicisme financier pour fixer un prix, ndlr] les externalités négatives du “big business”, sans chercher à les corriger. Plutôt que réguler ou arrêter de tu mets un coût. Y compris sur les valeurs. C’est d’ailleurs ce qu’essaye de faire la droite maintenant avec les fonds anti-ESG : ils veulent “pricer” leurs convictions.» Pantomime à tous les étages, poursuit-il : «En réalité, la majorité des investisseurs se moquent pas mal de l’éthique, ça entre dans leur stratégie de diversification de portefeuille. On met des billes dans les ESG comme on en met dans l’immobilier. Et puis bon, on peut appeler ESG ce qu’on veut. Regardez BlackRock et son “Carbon Transition Fund” : c’était blindé de pétroliers » Début août, Standard & Poor’s a annoncé qu’il supprimait son système de notation ESG. Officiellement, pour éviter toute confusion avec ses célèbres notes de crédit, tout en continuant à intégrer ces préoccupations dans leurs rapports. Officieusement, d’aucuns y voient un drapeau blanc agité en pleine bataille politique autour de la finance durable. Pour Fancy et Lefournier (les repentis des deux côtés de l’Atlantique ont récemment troussé une tribune ensemble), la guerre que se livrent républicains et démocrates aux Etats-Unis autour d’une apparente politisation de la finance permet d’abord à Wall Street, mais aussi à Joe Biden, de se présenter comme «les gentils de l’histoire». Utile contrefeu, alors que le locataire de la Maison Blanche a provoqué l’ire de sa base pour avoir approuvé, en mars, le lancement d’un gigantesque projet pétrolier en Alaska. Avant son élection, l’octogénaire avait pourtant promis qu’il mettrait fin aux forages en terres fédérales. Fancy peste aussi contre les activistes climatiques qui «croient religieusement» que la solution est dans le désinvestissement. «On est dans la même team, mais ils ne captent rien à la finance, soupire-t-il. Ils imaginent que si un fonds revend son stock d’actions fossile, ça fera baisser les émissions. Absolument pas ! Ce sont des gains de papier. Il y aura toujours quelqu’un pour racheter ces actions dégueus, bien souvent un gars qui n’en a rien à foutre et voit une opportunité. J’ai été ce gars-là !» Lui prône l’action au niveau des consommateurs, le boycott pur et simple des pires pollueurs, en attendant de vraies sanctions gouvernementales.

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          1 year ago

          4/ «C’est en train de tout détruire» Pendant que le «faux débat» fait rage outre- Atlantique, l’Europe, et en particulier Londres et Paris, récite le catéchisme ESG sans broncher, y voyant un eldorado financier. Le 1er janvier 2023, la Commission européenne s’est dotée d’une «taxonomie verte», censée trier le vrai du faux dans la jungle des «écolabels» et autres certificats ESG. Mais la liste est déjà sous le feu des critiques, notamment depuis qu’elle inclut au rayon «activités transitoires» des industries motorisées (fabricants de voiture) ou très gourmandes en énergie (data centers), ainsi que des acteurs du gaz et du nucléaire «Leur credo, c’est de définir les “best in class”, les meilleurs élèves, dans tous les domaines Y compris les plus polluants. Pratique pour les lobbys : ça n’exclut personne», résume l’ex-banquier Frédéric Hache, cofondateur de l’Observatoire de la finance verte. Dans les couloirs bruxellois se joue à bas bruit l’hyper technique - mais non moins âpre - bataille des normes ESG, scrutée de l’autre côté de l’Atlantique. Le Français Emmanuel Faber, ex-PDG de Danone, y pèse de tout son poids, via son Conseil des normes extracomptables internationales (ISSB), réputé aligné sur les nomenclatures américaines («Ce n’est pas du bullshit», insistait-il auprès de Libé en 2021).

          Mais au coeur de l’été, c’est une direction moins conciliante avec Wall Street que la Commission européenne a adoptée, en publiant une directive extraterritoriale qui, dès 2025, contraindrait des milliers d’entreprises américaines opérant en Europe à divulguer leur impact sur la planète, sous peine d’amende. Suffisant pour attirer les foudres des républicains américains, qui reprochent dans une lettre adressée à la secrétaire au Trésor, Janet Yellen, de laisser «progresser l’agenda ESG de l’Union européenne au détriment des intérêts des Etats-Unis». Lorsqu’on rencontre Tariq Fancy fin juin à Paris, se tient au même moment le sommet pour un «pacte financier mondial pour la transition climatique» orchestré par Emmanuel Macron. Quelques années plus tôt, Fancy aurait été un invité de marque dans ce genre de raout. Il est désormais persona non grata. Et alors que grands de ce monde, ONG respectables et argentiers internationaux planchent sur des «financements innovants» pour sauver la planète, l’ex-«monsieur Green» de BlackRock boit des verres avec ses anciens camarades de promo de l’Insead, la prestigieuse école d’administration des affaires de Fontainebleau. A Oxford, autre étape sur son CV cosmopolite et immaculé, il s’était lié d’amitié avec un certain Rishi Sunak, désormais Premier ministre britannique, passé, comme le président français, par la finance. «Je connais ces gars-là par coeur. Des types futés, qui savent faire illusion devant quelques gentils éco-activistes. Mais je peux vous garantir qu’ils ne croient pas une seconde à ces conneries.» Spécialiste du grand écart entre mots et actions, Sunak, partisan d’une approche se voulant «pragmatique et proportionnée» en la matière, a annoncé fin juillet l’octroi d’une centaine de permis d’exploitation de gaz et de pétrole en mer du Nord. Fancy accorde néanmoins un point à Macron, «sur le fait qu’on aura besoin des capitaux privés pour la transition».

          Chez les experts, un chiffre vertigineux circule : il faudrait 3 500 milliards de dollars (3 200 milliards d’euros) chaque année pendant trente ans pour espérer combattre le réchauffement climatique. «Mais ça ne se fera pas en demandant gentiment avec des critères ESG. Ça ne se fera que si on les force, et pour ça, il faut réguler, il faut taxer, il faut normer.» Macron, lui, ne veut pas entendre parler de «je-ne-sais-quel ISF vert» et préfère lancer un nouveau livret d’épargne écolo défiscalisé pour les mineurs Classique, dixit Fancy : «Pendant que BlackRock vend ses produits ESG totalement inefficaces, ses lobbyistes font pression contre toute augmentation d’impôts. Est-ce que les gouvernements sont prêts à mener ce combat ?» La pandémie de Covid lui a donné raison, assure-t-il. «Il y avait une courbe [des contaminations, ndlr] à aplatir, et, soudainement, Wall Street a montré ses cartes. Fini la loi du marché, il fallait que le gouvernement prenne les rênes.» Pourtant, depuis l’invasion de l’Ukraine et le retour en grâce des énergies fossiles, BlackRock et ses rivaux se font beaucoup moins bruyants autour de leurs «promesses net-zéro», soit l’engagement à constituer des portfolios totalement décarbonés à horizon plus ou moins lointain. Et pour cause : selon l’ONG InfluenceMap, 95 % des portefeuilles des principaux gérants mondiaux, BlackRock en tête, seraient incompatibles avec les objectifs des accords de Paris, qui se fixaient pour date butoir l’année 2050. «La hype ESG est en train de redescendre», assure, lapidaire, le banquier californien précité. D’autres parlent même d’une «bulle», prête à éclater, à l’image du marché spéculatif autour des «crédits carbone» décriés par les scientifiques. Les scandales n’aident pas. Prenons la Thames Water, société surendettée responsable pour un quart du traitement des eaux usées en Angleterre, tout récemment condamnée pour avoir sciemment souillé les affluents de la Tamise tout en écoulant pour 2,8 milliards d’euros d’«obligations vertes» à des fonds d’investissement tels que celui de Goldman Sachs. «Les défenseurs des ESG vous diront qu’ils ont ouvert la fenêtre d’Overton [censée figurer le spectre des opinions acceptables dans le débat public, ndlr] en sensibilisant les marchés aux questions climatiques et sociales, raille Fancy. Quelle blague. C’est Greta Thunberg qui l’a ouverte, cette fenêtre. Ce que fait Black- Rock, c’est marchandiser l’anxiété sociale et environnementale d’une génération entière pour vendre des produits financiers, tout en bloquant toute action gouvernementale.» L’ex-banquier s’enflamme : «Qu’on ne s’étonne pas que la génération Z devienne anticapitaliste ! Tout le monde sent l’arnaque, et c’est en train de tout détruire, même la démocratie.» Le volubile Canadien n’a toujours pas digéré que son ancien patron, Larry Fink, n’ait jamais daigné réagir à sa tonitruante démission. «J’ai démontré au monde entier que le roi était nu. Mais à quoi ça sert s’il s’enferme aux toilettes ?» Fin juin, le boss de BlackRock était l’un des prestigieux panélistes du festival des idées d’Aspen, dans les verdoyantes montagnes du Colorado. Pour l’occasion, Fink a fait une annonce spectaculaire : plus question pour lui d’utiliser «le mot ESG, [ ] instrumentalisé par l’extrême gauche et l’extrême droite». Ce qui n’empêche pas BlackRock de continuer à faire fructifier ses «index trackers» et autres produits estampillés des trois lettres Autrement dit, «vendre des indulgences», selon Fancy. Le 24 juillet, le conseil d’administration de BlackRock a accueilli un nouveau membre, Amin Nasser. Nul autre que le PDG d’Aramco, la compagnie pétrolière nationale saoudienne. Le ravalement de façade de Wall Street se craquelle plus vite que prévu ? Comment peut-on se dire de gauche, défendre l’environnement et laisser Wall Street “greenwasher” dans les grandes largeurs ? Tariq Fancy ancien banquier «Ce que fait BlackRock, c’est marchandiser l’anxiété sociale et environnementale d’une génération entière pour vendre des produits financiers, tout en bloquant toute action gouvernementale.»