• Affaires de PiassesOPM
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    3/ DES FONDS VERTS «BLINDÉS DE PÉTROLIERS» En mars, la bataille s’est déplacée au Congrès américain, lorsque les conservateurs ont porté, avec succès, une loi anti-ESG, contraignant Joe Biden à utiliser le premier veto de son mandat. Le texte censuré visait à supprimer un règlement de 2021 autorisant les fonds de pension américains à prendre en compte ces critères, «dans la mesure où ces investissements seraient dans leur intérêt financier». Tiède mais déjà trop pour les républicains, dont la croisade vise avant tout le «E» de l’abréviation («environnement»), sous prétexte de protection de l’emploi dans les bassins miniers et les champs pétrolifères du pays. Et, plus généralement, en défense d’une way of life assoiffée de gazole. Ainsi, Ron DeSantis, gouverneur de Floride et principal rival de Donald Trump pour l’investiture républicaine, jurait le 1er avril que la Réserve fédérale (la Banque centrale américaine) comptait utiliser sa monnaie numérique - encore à l’état de projet - afin «d’imposer un agenda ESG» : «Si vous consommez trop d’essence, ils vous couperont le robinet en bloquant la transaction !» osait-il. Fin mai, De- Santis contre-attaquait en promulguant une loi interdisant à tout fonctionnaire floridien la promotion d’objectifs «ESG» avec de l’argent public, ou d’en confier à des fonds étiquetés comme tels. Fancy hausse les épaules. «Que les républicains s’attaquent aux ESG, après tout, c’est logique. Le plus fou, c’est que les démocrates ne s’y soient pas mis les premiers ! Comment peut-on se dire de gauche, défendre l’environnement et laisser Wall Street “greenwasher” dans les grandes largeurs ?» Au coeur du scandale se trouvent, selon lui, les agences de notation ESG. «Une tromperie extraordinaire.» Sur le même principe que les Standard & Poor’s et autres Moody’s, à coups de «AAA», «B-» et «C», des dizaines de firmes ont ainsi prospéré sur ce créneau financier, vendant au prix fort des «index ESG» aux traders, sans aucune uniformisation de leurs opaques pondérations. «Les gens pensent que les scores ESG mesurent l’impact positif des entreprises sur la planète, poursuit Fancy. En réalité, c’est tout l’inverse : ces agences calculent l’impact de la dégradation de l’environnement ou du tissu social sur le résultat financier des compagnies.

    Pour résumer, c’est une mesure du risque.» Ainsi MSCI, l’agence leader du secteur (dont le plus gros client est BlackRock), a pu distribuer des satisfecit de «durabilité» à McDonald’s, malgré les millions de tonnes de carbone dégagées par l’élevage intensif nécessaire à la fabrication de ses burgers, pour s’être tout simplement plié, en Europe, aux nouvelles normes sur les emballages plastiques (auxquelles elle était de toute façon contrainte, comme en France). Ou bien attribuer l’une des plus hautes appréciations à Coca- Cola, champion du monde de la pollution plastique selon l’ONG Break Free From Plastic. Même les pétroliers Exxon et BP s’en tirent avec de respectables notes chez MSCI. Avant sa faillite express, Sam Bankman-Fried, prince déchu des cryptomonnaies, pouvait lui aussi se targuer d’un des plus beaux scores ESG au rayon «leadership et gouvernance», alors qu’il jouait l’avenir de sa firme depuis les Bahamas, une manette de jeux vidéo entre les mains. Ce que n’ont pas manqué de souligner les imprécateurs antiwoke, également à la fête lors du crash de la Silicon Valley Bank en mars, coqueluche des fonds durables, à commencer par BlackRock qui possédait 8 % de ses actions. De fait, la plupart des valeurs technologiques, Alphabet et Meta comprises, sont généralement groupées au sein de «paniers ESG». «Pour faire joli, on vend du Big Oil et on remplace par du Big Tech, schématise Fancy. Alors que leur modèle économique, c’est de rendre nos gosses complètement accros à leurs applis : c’est ça leur “impact” sur la société.» Un eldorado financier pour Paris et Londres Tariq Fancy ne prêche pas dans le désert. Même le milliardaire octogénaire Carl Ihcan, légende noire de Wall Street (le «raider» a quasiment inventé l’OPA hostile), a qualifié le «mouvement ESG» de «plus grande hypocrisie de notre époque», après avoir cultivé un intérêt tardif pour le bien-être animal.

    En France, Julien Lefournier, ancien responsable de la salle des marchés de Paris du Crédit agricole, en est arrivé aux mêmes conclusions, consignées dans un opuscule intitulé l’Illusion de la finance verte (Editions de l’Atelier). «L’utilisation des critères ESG n’est qu’une mascarade, tranche-t-il. De la désinformation, un verdissement de la réalité qui ne correspond à rien au niveau écologique et social. Le logiciel reste strictement le même.» Voire pire ? «Grâce aux ESG, on a pu coller un prix à la raréfaction de l’eau dans le Nevada, ou aux discriminations dans le monde du travail, constate sous couvert d’anonymat un banquier français installé en Californie, spécialiste en stratégie financière. J’entends la critique de la gauche là-dessus : on laisse le marché “pricer” [anglicisme financier pour fixer un prix, ndlr] les externalités négatives du “big business”, sans chercher à les corriger. Plutôt que réguler ou arrêter de tu mets un coût. Y compris sur les valeurs. C’est d’ailleurs ce qu’essaye de faire la droite maintenant avec les fonds anti-ESG : ils veulent “pricer” leurs convictions.» Pantomime à tous les étages, poursuit-il : «En réalité, la majorité des investisseurs se moquent pas mal de l’éthique, ça entre dans leur stratégie de diversification de portefeuille. On met des billes dans les ESG comme on en met dans l’immobilier. Et puis bon, on peut appeler ESG ce qu’on veut. Regardez BlackRock et son “Carbon Transition Fund” : c’était blindé de pétroliers » Début août, Standard & Poor’s a annoncé qu’il supprimait son système de notation ESG. Officiellement, pour éviter toute confusion avec ses célèbres notes de crédit, tout en continuant à intégrer ces préoccupations dans leurs rapports. Officieusement, d’aucuns y voient un drapeau blanc agité en pleine bataille politique autour de la finance durable. Pour Fancy et Lefournier (les repentis des deux côtés de l’Atlantique ont récemment troussé une tribune ensemble), la guerre que se livrent républicains et démocrates aux Etats-Unis autour d’une apparente politisation de la finance permet d’abord à Wall Street, mais aussi à Joe Biden, de se présenter comme «les gentils de l’histoire». Utile contrefeu, alors que le locataire de la Maison Blanche a provoqué l’ire de sa base pour avoir approuvé, en mars, le lancement d’un gigantesque projet pétrolier en Alaska. Avant son élection, l’octogénaire avait pourtant promis qu’il mettrait fin aux forages en terres fédérales. Fancy peste aussi contre les activistes climatiques qui «croient religieusement» que la solution est dans le désinvestissement. «On est dans la même team, mais ils ne captent rien à la finance, soupire-t-il. Ils imaginent que si un fonds revend son stock d’actions fossile, ça fera baisser les émissions. Absolument pas ! Ce sont des gains de papier. Il y aura toujours quelqu’un pour racheter ces actions dégueus, bien souvent un gars qui n’en a rien à foutre et voit une opportunité. J’ai été ce gars-là !» Lui prône l’action au niveau des consommateurs, le boycott pur et simple des pires pollueurs, en attendant de vraies sanctions gouvernementales.

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      1 year ago

      4/ «C’est en train de tout détruire» Pendant que le «faux débat» fait rage outre- Atlantique, l’Europe, et en particulier Londres et Paris, récite le catéchisme ESG sans broncher, y voyant un eldorado financier. Le 1er janvier 2023, la Commission européenne s’est dotée d’une «taxonomie verte», censée trier le vrai du faux dans la jungle des «écolabels» et autres certificats ESG. Mais la liste est déjà sous le feu des critiques, notamment depuis qu’elle inclut au rayon «activités transitoires» des industries motorisées (fabricants de voiture) ou très gourmandes en énergie (data centers), ainsi que des acteurs du gaz et du nucléaire «Leur credo, c’est de définir les “best in class”, les meilleurs élèves, dans tous les domaines Y compris les plus polluants. Pratique pour les lobbys : ça n’exclut personne», résume l’ex-banquier Frédéric Hache, cofondateur de l’Observatoire de la finance verte. Dans les couloirs bruxellois se joue à bas bruit l’hyper technique - mais non moins âpre - bataille des normes ESG, scrutée de l’autre côté de l’Atlantique. Le Français Emmanuel Faber, ex-PDG de Danone, y pèse de tout son poids, via son Conseil des normes extracomptables internationales (ISSB), réputé aligné sur les nomenclatures américaines («Ce n’est pas du bullshit», insistait-il auprès de Libé en 2021).

      Mais au coeur de l’été, c’est une direction moins conciliante avec Wall Street que la Commission européenne a adoptée, en publiant une directive extraterritoriale qui, dès 2025, contraindrait des milliers d’entreprises américaines opérant en Europe à divulguer leur impact sur la planète, sous peine d’amende. Suffisant pour attirer les foudres des républicains américains, qui reprochent dans une lettre adressée à la secrétaire au Trésor, Janet Yellen, de laisser «progresser l’agenda ESG de l’Union européenne au détriment des intérêts des Etats-Unis». Lorsqu’on rencontre Tariq Fancy fin juin à Paris, se tient au même moment le sommet pour un «pacte financier mondial pour la transition climatique» orchestré par Emmanuel Macron. Quelques années plus tôt, Fancy aurait été un invité de marque dans ce genre de raout. Il est désormais persona non grata. Et alors que grands de ce monde, ONG respectables et argentiers internationaux planchent sur des «financements innovants» pour sauver la planète, l’ex-«monsieur Green» de BlackRock boit des verres avec ses anciens camarades de promo de l’Insead, la prestigieuse école d’administration des affaires de Fontainebleau. A Oxford, autre étape sur son CV cosmopolite et immaculé, il s’était lié d’amitié avec un certain Rishi Sunak, désormais Premier ministre britannique, passé, comme le président français, par la finance. «Je connais ces gars-là par coeur. Des types futés, qui savent faire illusion devant quelques gentils éco-activistes. Mais je peux vous garantir qu’ils ne croient pas une seconde à ces conneries.» Spécialiste du grand écart entre mots et actions, Sunak, partisan d’une approche se voulant «pragmatique et proportionnée» en la matière, a annoncé fin juillet l’octroi d’une centaine de permis d’exploitation de gaz et de pétrole en mer du Nord. Fancy accorde néanmoins un point à Macron, «sur le fait qu’on aura besoin des capitaux privés pour la transition».

      Chez les experts, un chiffre vertigineux circule : il faudrait 3 500 milliards de dollars (3 200 milliards d’euros) chaque année pendant trente ans pour espérer combattre le réchauffement climatique. «Mais ça ne se fera pas en demandant gentiment avec des critères ESG. Ça ne se fera que si on les force, et pour ça, il faut réguler, il faut taxer, il faut normer.» Macron, lui, ne veut pas entendre parler de «je-ne-sais-quel ISF vert» et préfère lancer un nouveau livret d’épargne écolo défiscalisé pour les mineurs Classique, dixit Fancy : «Pendant que BlackRock vend ses produits ESG totalement inefficaces, ses lobbyistes font pression contre toute augmentation d’impôts. Est-ce que les gouvernements sont prêts à mener ce combat ?» La pandémie de Covid lui a donné raison, assure-t-il. «Il y avait une courbe [des contaminations, ndlr] à aplatir, et, soudainement, Wall Street a montré ses cartes. Fini la loi du marché, il fallait que le gouvernement prenne les rênes.» Pourtant, depuis l’invasion de l’Ukraine et le retour en grâce des énergies fossiles, BlackRock et ses rivaux se font beaucoup moins bruyants autour de leurs «promesses net-zéro», soit l’engagement à constituer des portfolios totalement décarbonés à horizon plus ou moins lointain. Et pour cause : selon l’ONG InfluenceMap, 95 % des portefeuilles des principaux gérants mondiaux, BlackRock en tête, seraient incompatibles avec les objectifs des accords de Paris, qui se fixaient pour date butoir l’année 2050. «La hype ESG est en train de redescendre», assure, lapidaire, le banquier californien précité. D’autres parlent même d’une «bulle», prête à éclater, à l’image du marché spéculatif autour des «crédits carbone» décriés par les scientifiques. Les scandales n’aident pas. Prenons la Thames Water, société surendettée responsable pour un quart du traitement des eaux usées en Angleterre, tout récemment condamnée pour avoir sciemment souillé les affluents de la Tamise tout en écoulant pour 2,8 milliards d’euros d’«obligations vertes» à des fonds d’investissement tels que celui de Goldman Sachs. «Les défenseurs des ESG vous diront qu’ils ont ouvert la fenêtre d’Overton [censée figurer le spectre des opinions acceptables dans le débat public, ndlr] en sensibilisant les marchés aux questions climatiques et sociales, raille Fancy. Quelle blague. C’est Greta Thunberg qui l’a ouverte, cette fenêtre. Ce que fait Black- Rock, c’est marchandiser l’anxiété sociale et environnementale d’une génération entière pour vendre des produits financiers, tout en bloquant toute action gouvernementale.» L’ex-banquier s’enflamme : «Qu’on ne s’étonne pas que la génération Z devienne anticapitaliste ! Tout le monde sent l’arnaque, et c’est en train de tout détruire, même la démocratie.» Le volubile Canadien n’a toujours pas digéré que son ancien patron, Larry Fink, n’ait jamais daigné réagir à sa tonitruante démission. «J’ai démontré au monde entier que le roi était nu. Mais à quoi ça sert s’il s’enferme aux toilettes ?» Fin juin, le boss de BlackRock était l’un des prestigieux panélistes du festival des idées d’Aspen, dans les verdoyantes montagnes du Colorado. Pour l’occasion, Fink a fait une annonce spectaculaire : plus question pour lui d’utiliser «le mot ESG, [ ] instrumentalisé par l’extrême gauche et l’extrême droite». Ce qui n’empêche pas BlackRock de continuer à faire fructifier ses «index trackers» et autres produits estampillés des trois lettres Autrement dit, «vendre des indulgences», selon Fancy. Le 24 juillet, le conseil d’administration de BlackRock a accueilli un nouveau membre, Amin Nasser. Nul autre que le PDG d’Aramco, la compagnie pétrolière nationale saoudienne. Le ravalement de façade de Wall Street se craquelle plus vite que prévu ? Comment peut-on se dire de gauche, défendre l’environnement et laisser Wall Street “greenwasher” dans les grandes largeurs ? Tariq Fancy ancien banquier «Ce que fait BlackRock, c’est marchandiser l’anxiété sociale et environnementale d’une génération entière pour vendre des produits financiers, tout en bloquant toute action gouvernementale.»