• Affaires de PiassesOPM
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    4/ «C’est en train de tout détruire» Pendant que le «faux débat» fait rage outre- Atlantique, l’Europe, et en particulier Londres et Paris, récite le catéchisme ESG sans broncher, y voyant un eldorado financier. Le 1er janvier 2023, la Commission européenne s’est dotée d’une «taxonomie verte», censée trier le vrai du faux dans la jungle des «écolabels» et autres certificats ESG. Mais la liste est déjà sous le feu des critiques, notamment depuis qu’elle inclut au rayon «activités transitoires» des industries motorisées (fabricants de voiture) ou très gourmandes en énergie (data centers), ainsi que des acteurs du gaz et du nucléaire «Leur credo, c’est de définir les “best in class”, les meilleurs élèves, dans tous les domaines Y compris les plus polluants. Pratique pour les lobbys : ça n’exclut personne», résume l’ex-banquier Frédéric Hache, cofondateur de l’Observatoire de la finance verte. Dans les couloirs bruxellois se joue à bas bruit l’hyper technique - mais non moins âpre - bataille des normes ESG, scrutée de l’autre côté de l’Atlantique. Le Français Emmanuel Faber, ex-PDG de Danone, y pèse de tout son poids, via son Conseil des normes extracomptables internationales (ISSB), réputé aligné sur les nomenclatures américaines («Ce n’est pas du bullshit», insistait-il auprès de Libé en 2021).

    Mais au coeur de l’été, c’est une direction moins conciliante avec Wall Street que la Commission européenne a adoptée, en publiant une directive extraterritoriale qui, dès 2025, contraindrait des milliers d’entreprises américaines opérant en Europe à divulguer leur impact sur la planète, sous peine d’amende. Suffisant pour attirer les foudres des républicains américains, qui reprochent dans une lettre adressée à la secrétaire au Trésor, Janet Yellen, de laisser «progresser l’agenda ESG de l’Union européenne au détriment des intérêts des Etats-Unis». Lorsqu’on rencontre Tariq Fancy fin juin à Paris, se tient au même moment le sommet pour un «pacte financier mondial pour la transition climatique» orchestré par Emmanuel Macron. Quelques années plus tôt, Fancy aurait été un invité de marque dans ce genre de raout. Il est désormais persona non grata. Et alors que grands de ce monde, ONG respectables et argentiers internationaux planchent sur des «financements innovants» pour sauver la planète, l’ex-«monsieur Green» de BlackRock boit des verres avec ses anciens camarades de promo de l’Insead, la prestigieuse école d’administration des affaires de Fontainebleau. A Oxford, autre étape sur son CV cosmopolite et immaculé, il s’était lié d’amitié avec un certain Rishi Sunak, désormais Premier ministre britannique, passé, comme le président français, par la finance. «Je connais ces gars-là par coeur. Des types futés, qui savent faire illusion devant quelques gentils éco-activistes. Mais je peux vous garantir qu’ils ne croient pas une seconde à ces conneries.» Spécialiste du grand écart entre mots et actions, Sunak, partisan d’une approche se voulant «pragmatique et proportionnée» en la matière, a annoncé fin juillet l’octroi d’une centaine de permis d’exploitation de gaz et de pétrole en mer du Nord. Fancy accorde néanmoins un point à Macron, «sur le fait qu’on aura besoin des capitaux privés pour la transition».

    Chez les experts, un chiffre vertigineux circule : il faudrait 3 500 milliards de dollars (3 200 milliards d’euros) chaque année pendant trente ans pour espérer combattre le réchauffement climatique. «Mais ça ne se fera pas en demandant gentiment avec des critères ESG. Ça ne se fera que si on les force, et pour ça, il faut réguler, il faut taxer, il faut normer.» Macron, lui, ne veut pas entendre parler de «je-ne-sais-quel ISF vert» et préfère lancer un nouveau livret d’épargne écolo défiscalisé pour les mineurs Classique, dixit Fancy : «Pendant que BlackRock vend ses produits ESG totalement inefficaces, ses lobbyistes font pression contre toute augmentation d’impôts. Est-ce que les gouvernements sont prêts à mener ce combat ?» La pandémie de Covid lui a donné raison, assure-t-il. «Il y avait une courbe [des contaminations, ndlr] à aplatir, et, soudainement, Wall Street a montré ses cartes. Fini la loi du marché, il fallait que le gouvernement prenne les rênes.» Pourtant, depuis l’invasion de l’Ukraine et le retour en grâce des énergies fossiles, BlackRock et ses rivaux se font beaucoup moins bruyants autour de leurs «promesses net-zéro», soit l’engagement à constituer des portfolios totalement décarbonés à horizon plus ou moins lointain. Et pour cause : selon l’ONG InfluenceMap, 95 % des portefeuilles des principaux gérants mondiaux, BlackRock en tête, seraient incompatibles avec les objectifs des accords de Paris, qui se fixaient pour date butoir l’année 2050. «La hype ESG est en train de redescendre», assure, lapidaire, le banquier californien précité. D’autres parlent même d’une «bulle», prête à éclater, à l’image du marché spéculatif autour des «crédits carbone» décriés par les scientifiques. Les scandales n’aident pas. Prenons la Thames Water, société surendettée responsable pour un quart du traitement des eaux usées en Angleterre, tout récemment condamnée pour avoir sciemment souillé les affluents de la Tamise tout en écoulant pour 2,8 milliards d’euros d’«obligations vertes» à des fonds d’investissement tels que celui de Goldman Sachs. «Les défenseurs des ESG vous diront qu’ils ont ouvert la fenêtre d’Overton [censée figurer le spectre des opinions acceptables dans le débat public, ndlr] en sensibilisant les marchés aux questions climatiques et sociales, raille Fancy. Quelle blague. C’est Greta Thunberg qui l’a ouverte, cette fenêtre. Ce que fait Black- Rock, c’est marchandiser l’anxiété sociale et environnementale d’une génération entière pour vendre des produits financiers, tout en bloquant toute action gouvernementale.» L’ex-banquier s’enflamme : «Qu’on ne s’étonne pas que la génération Z devienne anticapitaliste ! Tout le monde sent l’arnaque, et c’est en train de tout détruire, même la démocratie.» Le volubile Canadien n’a toujours pas digéré que son ancien patron, Larry Fink, n’ait jamais daigné réagir à sa tonitruante démission. «J’ai démontré au monde entier que le roi était nu. Mais à quoi ça sert s’il s’enferme aux toilettes ?» Fin juin, le boss de BlackRock était l’un des prestigieux panélistes du festival des idées d’Aspen, dans les verdoyantes montagnes du Colorado. Pour l’occasion, Fink a fait une annonce spectaculaire : plus question pour lui d’utiliser «le mot ESG, [ ] instrumentalisé par l’extrême gauche et l’extrême droite». Ce qui n’empêche pas BlackRock de continuer à faire fructifier ses «index trackers» et autres produits estampillés des trois lettres Autrement dit, «vendre des indulgences», selon Fancy. Le 24 juillet, le conseil d’administration de BlackRock a accueilli un nouveau membre, Amin Nasser. Nul autre que le PDG d’Aramco, la compagnie pétrolière nationale saoudienne. Le ravalement de façade de Wall Street se craquelle plus vite que prévu ? Comment peut-on se dire de gauche, défendre l’environnement et laisser Wall Street “greenwasher” dans les grandes largeurs ? Tariq Fancy ancien banquier «Ce que fait BlackRock, c’est marchandiser l’anxiété sociale et environnementale d’une génération entière pour vendre des produits financiers, tout en bloquant toute action gouvernementale.»