De nouveaux témoignages palestiniens révÚlent les horreurs des prisons israéliennes

Analyse approfondie : Des témoignages bouleversants de Tariq Abed et du journaliste de Al-Araby TV, Mohammed Arab, révÚlent des détails choquants de torture, de viol et de maltraitance dans les prisons israéliennes.

Depuis le dĂ©but de la guerre d’IsraĂ«l contre Gaza le mois dernier, des milliers de Palestiniens, y compris des rĂ©sidents, du personnel mĂ©dical, des patients et des combattants capturĂ©s, ont Ă©tĂ© dĂ©tenus et emmenĂ©s en IsraĂ«l, gĂ©nĂ©ralement menottĂ©s et les yeux bandĂ©s, selon l’ONU.

Dans le rĂ©seau de prisons d’IsraĂ«l, les Palestiniens sont confrontĂ©s Ă  des dĂ©tentions arbitraires, prolongĂ©es et sans communication, avec des preuves documentĂ©es de tortures horrifiques, de viols, de maltraitances et d’autres traitements cruels et dĂ©gradants. Au moins 53 Palestiniens sont morts dans des prisons israĂ©liennes au cours de la derniĂšre annĂ©e en raison de ces conditions.

Le nombre de prisonniers dĂ©tenus de Gaza s’ajoute aux 11 600 Palestiniens actuellement dĂ©tenus dans des prisons israĂ©liennes.

Al-Araby Al-Jadeed, l’édition sƓur en langue arabe de The New Arab, a publiĂ© les tĂ©moignages de deux dĂ©tenus palestiniens dĂ©tenus dans le rĂ©seau carcĂ©ral israĂ©lien depuis le dĂ©but de la guerre.

Tariq Abed et le correspondant de Al-Araby TV, Mohammed Arab, ont Ă©tĂ© dĂ©tenus Ă  Gaza il y a huit mois. Leurs tĂ©moignages ont Ă©tĂ© recueillis par deux avocats - Khaled Mahajna et ‘M. A.’ - qui ont rendu visite aux prisonniers Ă  la prison d’Ofer le 14 juillet 2024.

C’est le deuxiĂšme tĂ©moignage du journaliste Mohammed Arab et le premier de Tariq Abed.

Mohammed Arab a Ă©tĂ© transfĂ©rĂ© Ă  la prison d’Ofer le 2 juillet 2024 aprĂšs avoir Ă©tĂ© interviewĂ© par des avocats le 19 juin 2024. Le tĂ©moignage qu’il a donnĂ©, diffusĂ© sur Al-Araby TV, a provoquĂ© un tollĂ© mondial, conduisant Ă  des appels pour fermer la tristement cĂ©lĂšbre base militaire de Sde Teiman en raison des crimes contre l’humanitĂ© et des crimes de guerre qui y sont commis.

Un certain nombre de soldats israĂ©liens ont Ă©galement Ă©tĂ© renvoyĂ©s pour enquĂȘte.

Avertissement : Cet article contient des détails de violences sexuelles et de torture graphiques que les lecteurs peuvent trouver bouleversants.

DeuxiÚme témoignage de Mohammed Arab
(Quand Mohammed Arab est entrĂ© pour ĂȘtre interrogĂ©, il Ă©tait bandĂ© des yeux et ses poignets et chevilles Ă©taient entravĂ©s. Il portait des vĂȘtements propres, contrastant avec la visite initiale du 19 juin).

Comment vas-tu, Mohammed ? Est-ce que ça va ? Nous voulons te dire que nous avons parlĂ© Ă  ta famille, tes enfants vont bien, ils te disent bonjour et qu’ils ont hĂąte de te voir.

Mohammed Arab :
Ma famille est encore en vie ? Dieu soit louĂ© pour leur sĂ©curité  Je ne vais pas bien. J’ai subi un interrogatoire Ă©puisant et un questionnement continu aprĂšs votre derniĂšre visite avant d’ĂȘtre transfĂ©rĂ©.

Savais-tu que j’ai Ă©tĂ© amenĂ© ici quelques jours aprĂšs votre visite ? Trois soldats m’ont emmenĂ© pour un interrogatoire dans une autre salle. Chaque question concernait ce que j’avais dit dans l’interview


Ils ont menacĂ© de me torturer - en plus des battements incessants. Leur derniĂšre menace Ă©tait qu’ils me tueraient pour les fuites diffusĂ©es sur Al-Araby TV, et comment le monde a explosĂ© Ă  ce qui se passait dans la prison de Sde Teiman.

(Mohammed ne savait pas qu’il Ă©tait dans la prison d’Ofer lorsqu’on lui a demandĂ© s’il savait oĂč il Ă©tait)

Je crois que je suis au camp Sofa prĂšs de Gaza, non ?

Vous ĂȘtes dans la prison militaire d’Ofer Ă  Ramallah.

MA :
Il semble qu’ils n’ont pas l’intention de me laisser partir. Ils nous ont pris dans des vĂ©hicules de l’armĂ©e israĂ©lienne, moi et 100 autres prisonniers, nous Ă©tions les yeux bandĂ©s


Es-tu toujours négligé médicalement ? Es-tu encore torturé ? Interrogé ?

MA :
Ce qui nous est arrivĂ© Ă  Sde Teiman se passe encore ici, mais Ă  diffĂ©rents degrĂ©s. Comme la derniĂšre fois, il y a des menaces de coups si nous faisons le moindre mouvement ; on nous interdit de parler, de tourner ou de lever la tĂȘte.

Nous sommes encore battus - on nous bat comme si c’était le premier jour de notre arrestation, chaque jour est comme le premier jour en tout, la douleur, les cris, la torture, l’interrogatoire, nous ne nous sommes pas habituĂ©s et nous ne nous sommes pas acclimatisĂ©s.

Il y a plus de 100 prisonniers malades ici avec moi, tous de Gaza. Certains ont des maladies chroniques, d’autres ont Ă©tĂ© blessĂ©s sous la torture, et tous hurlent de douleur, car il n’y a pas de traitement.

Ils nous battent exactement lĂ  oĂč ça fait mal
 D’abord, je veux vous dire ce qui s’est passĂ© aprĂšs votre visite. Ce que j’ai vu, je ne peux toujours pas le croire.

Citoyen palestinien Rami Abu Mustafa a reçu un traitement mĂ©dical Ă  l’hĂŽpital europĂ©en de Gaza avant sa mort de problĂšmes de santĂ© causĂ©s par la torture en dĂ©tention israĂ©lienne. [Hani Alshaer/Anadolu via Getty]

Tu veux dire dans la prison de Sde Teiman ? Qu’est-ce qui s’est passĂ© ?

MA :
Oui
 un jour aprĂšs votre visite, un groupe de soldats est venu avec des chiens, ils sont venus lĂ  oĂč nous Ă©tions. Ils ont sĂ©lectionnĂ© des prisonniers au hasard de tous les groupes d’ñge
 des enfants, des jeunes hommes, des vieillards. Ils les ont fait s’allonger au sol, face contre terre, les mains liĂ©es derriĂšre la tĂȘte.

Ils ont fait attaquer les chiens, dĂ©chirant la peau et la chair des prisonniers
 puis ils les ont mis debout et les ont mis dans un coin oĂč il y avait une grande “fenĂȘtre en fer”. Ils ont mis les mains des prisonniers sur la fenĂȘtre, puis ont commencĂ© Ă  les battre sur le dos, les fesses et les jambes par derriĂšre.

Ensuite, ils ont de nouveau lĂąchĂ© les chiens sur eux, et puis un des soldats a essayĂ© de faire en sorte qu’un chien viole l’un des prisonniers ! Ils apprennent Ă  leurs chiens Ă  avoir des relations sexuelles avec les prisonniers ! Peux-tu imaginer ?

(Mohammed Arab s’est tu briĂšvement, puis a repris hĂ©sitant)

Ils ont violé des prisonniers devant mes yeux, ils ont tué des prisonniers devant mes yeux !

Comment ? Ils ont violĂ© des prisonniers ? Tu veux dire qu’ils ont amenĂ© des soldats femmes et dĂ©shabillĂ© les hommes par exemple ? Sais-tu qui a Ă©tĂ© tuĂ© ? Sais-tu qui a Ă©tĂ© violĂ© ?

MA :
Non ! Il n’y avait pas de soldats femmes lĂ -bas du tout, ils ont amenĂ© un prisonnier qu’ils ont sĂ©lectionnĂ© au hasard ; son nom est ‘H.M.’ et ils ont commencĂ© Ă  le torturer jusqu’à ce que ses cris rĂ©sonnent dans l’espace - ils le frappaient sauvagement.

Puis ils l’ont dĂ©shabillĂ©, ont mis son corps au sol, et ont soulevĂ© ses fesses, puis ils ont apportĂ© un extincteur, et ont commencĂ© Ă  battre ses fesses avec. Ensuite, ils ont insĂ©rĂ© le tuyau de l’extincteur dans son anus et l’ont ouvert
 ils l’ont violĂ© avec un extincteur, et ils l’ont vidĂ© en lui, ils lui disaient en arabe approximatif : “Nous voulons Ă©teindre ta douleur et te faire oublier”
 puis il a perdu connaissance.

Ils l’ont transfĂ©rĂ© ici avec moi, et il est dans un mauvais Ă©tat psychologique, en Ă©tat de choc jusqu’à maintenant - il ne parle Ă  personne.

Ils ont attaquĂ© un autre prisonnier appelĂ© “J.M.” de la mĂȘme maniĂšre - ils l’ont battu et maltraitĂ©, et ont amenĂ© des chiens pour le violer. Ils l’ont dĂ©shabillĂ© et ont mis les chiens sur lui, ils dĂ©chiraient sa chair, puis un soldat est venu avec une “matraque Ă©lectrique”, qui Ă©mettait des chocs Ă©lectriques de haute tension, et ils ont commencĂ© Ă  battre le prisonnier sur ses parties gĂ©nitales.

Ils ont Ă©galement Ă©lectrocutĂ© ses fesses, puis ils l’ont mis debout et ont pris ses parties gĂ©nitales et ont commencĂ© Ă  les tirer violemment vers le bas jusqu’à ce qu’il s’évanouisse. Ensuite, ils l’ont emmenĂ© Ă  un endroit inconnu.

Un des prisonniers, de la famille “S” - un homme d’environ soixante ans qui avait des problĂšmes de santĂ© - demandait toujours un traitement et demandait Ă  ĂȘtre transfĂ©rĂ© Ă  l’hĂŽpital ou au service de santĂ©.

Ils ont ignorĂ© sa demande. Les soldats l’ont agressĂ© parce qu’il ne s’asseyait pas correctement, ils l’ont battu sauvagement jusqu’à ce qu’il perde connaissance. Ils ont ensuite continuĂ© Ă  le battre, jusqu’à ce qu’il meure entre leurs mains. Quand ils ont rĂ©alisĂ© qu’il Ă©tait mort, ils l’ont pris et l’ont emmenĂ© Ă  un endroit inconnu - personne ne sait rien de lui.

(Un soldat est entré et a dit que la visite était terminée)

TĂ©moignage de Tariq Abed
Tariq Abed est un prisonnier de la bande de Gaza. Il a Ă©tĂ© enlevĂ© il y a plus de 160 jours, gardĂ© dans un camp militaire israĂ©lien dans l’enveloppe de Gaza pendant 45 jours, puis emmenĂ© Ă  un endroit inconnu pendant 20 jours. Lorsqu’on lui a demandĂ© oĂč il Ă©tait avant, il a dit qu’il ne savait pas, mais qu’il Ă©tait Ă  Ofer depuis le 4 aoĂ»t 2024.

Il a Ă©tĂ© interrogĂ© une fois. Les questions concernaient le Hamas, les roquettes et les combattants, et Ă©taient accompagnĂ©es de coups et de tortures. À chaque question, il rĂ©pondait : Je suis un civil, je suis un civil. Tariq a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© une fois devant un tribunal pendant le mois de Ramadan, et l’entretien a Ă©tĂ© menĂ© via le smartphone d’un soldat.

Le juge a prolongé sa détention indéfiniment, pour des accusations de communication et de traitement avec le Hamas.

Comment vas-tu ? Est-ce que ça va ?

Tariq Abed :
Je ne vais pas bien, merci Ă  Dieu pour toutes ses Ă©preuves. Ils nous torturent constamment, ils battent tout le monde tout le temps, il n’y a pas de repos ici. Je ne sais pas ce que nous avons fait pour mĂ©riter toute cette mort, ces coups et cette torture ! Comment serait-ce si c’était nous qui les occupions ? Comment serait-ce si c’était nous qui les assiĂ©gions et les tuions ?

Nous sommes dĂ©solĂ©s d’entendre cela, nous espĂ©rons que Dieu nous facilitera Ă  tous, comme tu l’as dit, cette Ă©preuve. Peux-tu nous parler de ta situation dans la prison ?

TA :
ComparĂ© Ă  ce que j’entends des prisonniers qu’ils ont transfĂ©rĂ©s ici ? Je suis au paradis ! La prison d’Ofer diffĂšre des prisons oĂč j’ai Ă©tĂ© auparavant, en apparence.

Elle est composĂ©e de petites piĂšces en bĂ©ton, sans ventilation, et chaque piĂšce fait environ 6x5 mĂštres. La piĂšce contient des cadres de lit en fer, et 16 prisonniers se trouvent dans chaque piĂšce. Les lits n’ont ni matelas ni oreillers, et il n’y a pas de couvertures. Parfois, le nombre de prisonniers dans la piĂšce monte Ă  environ 25


Il y a une petite ouverture dans la porte de la piĂšce qui est utilisĂ©e pour nous donner Ă  manger. La plupart du temps, nos poignets sont attachĂ©s. La nourriture est passĂ©e par cette ouverture (il dĂ©signe l’ouverture dans la porte), et nous mangeons alors que nos mains sont encore attachĂ©es. Certains mangent comme des chameaux, que Dieu leur donne la force, car leurs mains Ă©taient cassĂ©es.

La nourriture est terrible, pire encore que dans les prisons prĂ©cĂ©dentes oĂč j’ai Ă©té  chaque prisonnier reçoit 100g de pain, un concombre ou une tomate, et un petit sachet de yaourt, et ce repas nous est donnĂ© trois fois par jour comme petit dĂ©jeuner, dĂ©jeuner, dĂźner.

Dans les piĂšces, les toilettes sont Ă  la vue de tous et nous nous soulageons devant les autres. Les toilettes sont du type arabe, pas du type occidental. Les piĂšces sont surveillĂ©es par des camĂ©ras qui restent allumĂ©es et surveillent les toilettes. Il y a un robinet au-dessus du cabinet, mais l’eau qui en sort est de l’eau potable
 Nous n’avons le droit de prendre une douche que pendant une minute. Mes vĂȘtements n’ont Ă©tĂ© changĂ©s qu’une fois depuis mon arrivĂ©e, donc il n’y a pas de point Ă  prendre une douche si vos vĂȘtements eux-mĂȘmes sont sales
 donc je ne mens pas, j’ai changĂ© de chemise et j’ai eu une coupe de cheveux il y a quelques semaines.

Comment vous et les prisonniers avez-vous été traités ? Avez-vous été torturés ?

TA :
Pendant le Ramadan, ils nous ont dit : “Nous avons prĂ©parĂ© une piĂšce de thĂ©Ăątre pour vous”
 ils ont apportĂ© trois Corans dans la piĂšce oĂč nous Ă©tions. Puis ils ont choisi trois jeunes hommes, les ont fait s’asseoir sur des matelas propres, et ont pris des photos et des vidĂ©os d’eux comme ça. Quand cela a pris fin, l’officier a commencĂ© Ă  dĂ©chirer les Corans devant les prisonniers, avant de les piĂ©tiner.

À Ofer, il y a deux salles que les soldats appellent “L’Enfer” et “Le Purgatoire”, qui sont dĂ©signĂ©es pour la torture.

Nous ne pouvons pas voir ce qui se passe Ă  l’intĂ©rieur des piĂšces, mais nous entendons les cris des autres prisonniers torturĂ©s.

Il y a quelques jours, les prisonniers des chambres 5, 6 et 7 ont Ă©tĂ© gravement battus. Les soldats sont entrĂ©s avec leurs chiens et ont attaquĂ© tous les prisonniers, cassant les mains de la plupart d’entre eux.

J’étais dans la piĂšce d’en face et j’ai regardĂ© ce qui se passait Ă  travers la petite ouverture et j’ai entendu les cris des prisonniers et les bruits de l’assaut. Je les ai entendus pleurer. La raison de cette bastonnade Ă©tait qu’ils faisaient du bruit.

Les soldats viennent toujours en portant des masques, profĂ©rant des insultes obscĂšnes, se moquant de nos symptĂŽmes, maudissant Dieu et la religion, insultant l’Islam, nous dĂ©crivant avec les pires mots, et nous menaçant de viol et de meurtre.

Ils ont violĂ© des prisonniers ici, les ont humiliĂ©s sexuellement, et ont filmĂ© tout. Il y avait un prisonnier nommĂ© “M.N.” qui souffrait de douleurs sĂ©vĂšres dans le corps depuis des jours. Il a demandĂ© Ă  ĂȘtre emmenĂ© Ă  la clinique, et il a Ă©tĂ© emmenĂ©, mais au lieu de recevoir un traitement, il a Ă©tĂ© battu puis ramenĂ© Ă  sa place, et chaque fois qu’il criait de douleur, ils le battaient plus.

(Un soldat est entré, et a dit que la visite était terminée et a pris Tariq)