www.lalibre.be "Longtemps, le systĂšmes scolaire m’a fait croire que j’étais bĂȘte, incapable. Cela m’a profondĂ©ment bloquĂ©e
 Monique Baus 6 - 7 minutes

Dans la marĂ©e des messages que drainent les rĂ©seaux sociaux en pĂ©riode d’examens, une vague se distingue.

Cours particuliers, ateliers de gestion du stress, offres de services pour la relecture de travaux, astuces de blocus, vƓux de rĂ©ussite, (auto) fĂ©licitations, fiertĂ© des parents qui dĂ©taillent les belles performances de leurs enfants,
 Tout cela constitue le gros de la pĂȘche.

Mais le flux charrie aussi d’autres contenus. Petites bouteilles lancĂ©es Ă  la mer pour nourrir la rĂ©flexion dans la tempĂȘte ? Avant tout, en voici quelques exemples. “Longtemps, ce systĂšme m’a fait croire que j’étais bĂȘte”

Lili est comĂ©dienne et danseuse. Elle donne notamment des cours de danse dans plusieurs Ă©coles bruxelloises. Mais l’artiste Ă©panouie revient de loin, comme elle l’explique dans un texte adressĂ© aux parents. “Vous vous faites un sang d’encre pour vos rejetons, Ă©crit-elle. Il ou elle ne veut pas travailler, il ou elle galĂšre : vous avez peur qu’elle ou qu’il redouble. Et si on prenait le temps de respirer, d’essayer de comprendre ce que ça dit de nous et du systĂšme scolaire ?” La femme tĂ©moigne. “La personne pour laquelle l’échec est le plus douloureux, c’est l’enfant. Cet enfant qui galĂšre parce qu’il ne se reconnaĂźt pas dans le systĂšme scolaire qui n’est pas parvenu Ă  l’accrocher, Ă  faire qu’il voit un intĂ©rĂȘt dans ce qu’il apprend. Longtemps, ce systĂšme m’a fait croire que j’étais bĂȘte, incapable. Cela m’a profondĂ©ment marquĂ©e, bloquĂ©e dans ma vie. Le systĂšme scolaire a Ă©chouĂ© avec moi car il ne m’a pas appris Ă  croire en moi, Ă  valoriser mes compĂ©tences.” Alors elle demande : “S’il vous plaĂźt, soutenez vos enfants mais demandez-vous pourquoi toute cette pression. Rater, doubler, faire une pause n’empĂȘchent pas d’ĂȘtre quelqu’un. Vos enfants sont dĂ©jĂ  quelqu’un.”

Sa publication a fait mouche. “Je reçois beaucoup de commentaires positifs, confie-t-elle. Deux de mes anciens enseignants m’ont mĂȘme contactĂ©e.” “C’est juste un examen”

La lettre d’un directeur aux parents circule beaucoup Ă©galement. “Je sais, dit-il, que vous avez envie que vos enfants rĂ©ussissent. Mais rappelez-vous : parmi les jeunes qui passent les examens, il y a un artiste qui n’a pas besoin de comprendre les mathĂ©matiques. Il y a un entrepreneur qui ne se soucie pas de l’histoire ou de la littĂ©rature anglaise. Il y a un musicien dont les notes en chimie n’ont pas d’importance.”

Et de conclure : “Si votre enfant rĂ©ussit, c’est trĂšs bien. Mais si tel n’est pas le cas, ne lui enlevez pas la confiance en lui. Dites-lui que c’est juste un examen, qu’il est taillĂ© pour des choses plus importantes dans la vie, et que vous l’aimez et ne le jugerez pas.” ”Le CEB est devenu un vrai business, c’est une catastrophe” “Vous continuez Ă  vous accrocher, je vous admire”

Renaud est professeur Ă  l’UMons. À un Ă©tudiant venu s’excuser d’avoir Ă©chouĂ© et remercier son prof d’avoir fait tout son possible, il rĂ©pond : “Ne croyez pas que cet Ă©chec signifie quoi que ce soit concernant vos qualitĂ©s personnelles. Vous avez les capacitĂ©s. Ne laissez personne vous dire le contraire. Et moi je vous admire, vous et tous les autres, parce qu’alors que les conditions d’étude sont fortement dĂ©gradĂ©es, vous continuez Ă  vous accrocher”. Et l’enseignant s’interroge. “Que faisons-nous ? Comment Ă©viter de laisser accroire Ă  ces Ă©tudiants la fable de leur responsabilitĂ© absolue dans l’échec ? Comment faire en sorte de sortir de ce jeu pervers du filtre social ?” “On a besoin, plus que jamais, de gens heureux”

Enfin, Pedro a lĂąchĂ© sa carriĂšre d’ingĂ©nieur pour se lancer comme artiste photographe. Son discours aux ingĂ©nieurs diplĂŽmĂ©s de l’UCLouvain en 2019 a Ă©tĂ© vu des millions de fois. Dans ce cadre si acadĂ©mique, il n’hĂ©site pas Ă  lancer : “Ne m’écoutez plus moi, n’écoutez plus les parents, n’écoutez plus les professeurs : Ă©coutez-vous en tout premier. Le monde n’a plus besoin de battants, de gens qui rĂ©ussissent. Il a besoin de rĂȘveurs, de personnes capables de reconstruire et de prendre soin. Et surtout, on a tous besoin, plus que jamais, de gens heureux.”

Que penser de ces positions ? “La premiĂšre chose qui me vient Ă  l’esprit et que nous rappelons souvent en formation, c’est qu’un jeune ne se rĂ©duit pas Ă  son mĂ©tier d’élĂšve, aussi important soit ce dernier”, pointe Marc Romainville, professeur Ă  l’UNamur, responsable du service de pĂ©dagogie universitaire et pilote de la Commission des rĂ©fĂ©rentiels du tronc commun.

En cas d’amalgame, l’évaluateur a sa part de responsabilitĂ©. “On dit toujours qu’on Ă©value des Ă©lĂšves et des Ă©tudiants, mais c’est faux. Ce qu’on mesure, c’est si leurs acquis correspondent Ă  ce qui est attendu. C’est trĂšs diffĂ©rent. Et tout le vocabulaire a son importance.”

Pas question pour autant d’adopter un langage de bisounours. “Toute la difficultĂ© consiste Ă  faire face en mĂȘme temps Ă  la rĂ©alitĂ©, Ă  avoir le courage de dire quand ça ne va pas.” “Trop de choses se jouent dans la sphĂšre scolaire”

Comment considĂšre-t-on l’échec, en particulier l’échec scolaire ? OĂč place-t-on la barre ? Les publications mentionnĂ©es plus haut ont le mĂ©rite de poser ces questions, estime-t-il, tenant Ă  rappeler une thĂ©orie Ă  ce propos : “Le philosophe français Charles PĂ©pin dit qu’on grandit plus en surmontant des Ă©checs qu’en avançant sur un parcours trop lisse. Il compare deux joueurs de tennis. Richard Gasquet, dont la voie comme l’un des juniors les plus douĂ©s de sa gĂ©nĂ©ration semblait toute tracĂ©e, et RafaĂ«l Nadal qui, malgrĂ© de nombreuses difficultĂ©s, se retrouve l’un des joueurs les plus titrĂ©s de l’histoire.”

En conclusion, Marc Romainville reconnaĂźt qu’une pression maximale repose aujourd’hui sur l’école. “Comme trop de choses se jouent dans la sphĂšre scolaire, les parents stressent pour l’avenir de leurs enfants. Ce qui explique qu’un Ă©chec, mĂȘme transitoire, puisse ĂȘtre vĂ©cu comme une catastrophe.” D’oĂč l’intĂ©rĂȘt, sans doute, de pouvoir parfois un peu calmer le jeu.

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