Les images des bombardements, de la famine et des destructions de Gaza montrent le niveau dâhorreur atteint par IsraĂ«l. Mais il est important de ne pas oublier les prisonniĂšres et prisonniers palestiniens, Ă lâheure oĂč les tĂ©moignages de tortures, de viols, de traitements inhumains et dĂ©gradants se multiplient, dressant le portrait dâun vĂ©ritable systĂšme concentrationnaire.
La situation des prisonniers et prisonniĂšres palestiniennes est peu connue et peu Ă©voquĂ©e, y compris Ă gauche. Au mieux elle est Ă©voquĂ©e au dĂ©tour dâune phrase. Au pire, les organisations de solidaritĂ© avec la Palestine se voient carrĂ©ment reprocher de parler de leur situation [1]. Pourtant, il est impĂ©ratif de dĂ©noncer lâarrestation arbitraire, les humiliations, la torture, les viols et leur aggravation depuis le 7 octobre.
Un systÚme de détention arbitraire
Qui sont les prisonniĂšres et prisonniers palestiniens ? Souvent des mineur·es, et la plupart du temps des personnes arrĂȘtĂ©es pour un dĂ©lit anodin, ou pas de dĂ©lit du tout. Un adolescent parce quâĂ un contrĂŽle dans un checkpoint des soldats israĂ©liens ont trouvĂ© dans son tĂ©lĂ©phone des photos dâun autre checkpoint ; un homme blessĂ© prĂšs dâun champ de bataille Ă Gaza et considĂ©rĂ©, pour cette raison, comme un combattantâ ; une femme arrĂȘtĂ©e prĂšs dâun hĂŽpital oĂč IsraĂ«l prĂ©tend que des combattantes et combattants se cachentâŠ
La « dĂ©tention administrative » permet de garder ces personnes en prison sans la moindre justification pendant six mois. Au bout de ce dĂ©lai, une parodie de procĂšs (sans aucun droit de la dĂ©fense) permet de prolonger lâemprisonnement pour six nouveaux mois. Et ainsi de suite, parfois pendant des annĂ©es.
En juillet, un rapport de lâONU Ă©valuait Ă 1â100 le nombre de personnes en dĂ©tention administrative. En dĂ©cembre, ce nombre montait Ă 1â310. En avril, Ă 3â600.
Une batterie de lois a été votée depuis décembre dernier pour créer un autre régime de détention, encore plus permissif. Le statut de « combattants illégaux », qui est celui des personnes kidnappées à Gaza.
Celui-ci donne une licence totale Ă lâarmĂ©e pour enfermer des personnes sans charge ni mandat dâarrĂȘt, et sans accĂšs Ă un avocat. Il sâagit dâune vĂ©ritable carte blanche pour kidnapper sans le moindre contrĂŽle judiciaire, sans mĂȘme que lâarmĂ©e ait Ă informer les proches de la victime.
Si on ajoute Ă cela quâaucune loi israĂ©lienne ne condamne formellement la torture [2], on comprend mieux pourquoi le Shin Bet (services secrets israĂ©liens) explique au New York Times que tous les interrogatoires sont « menĂ©s conformĂ©ment Ă la loi ».
Bases militaires, ou camps de concentration ?
Depuis plusieurs mois, un vĂ©ritable systĂšme concentrationnaire est mis en place, dans ce cadre juridique. Des tĂ©moignages terrifiants nous parviennent des camps de Sde Teiman, dans le dĂ©sert du Neguev, dâOfer et dâAnatot. Il sâagit de bases militaires transformĂ©es en ce quâil faut bien appeler des camps de concentration. Sde Teiman semble ĂȘtre le plus important de ces trois centres [3].
La comparaison des images satellites de septembre 2023 et mars 2024 réalisée par CNN montre que « plus de 100 nouvelles structures, parmi lesquelles des grandes tentes et des hangars » ont été construites en quelques mois, agrandissant largement les infrastructures du camp [4].
Les tĂ©moignages dont nous disposons sur ces camps sont effrayants. Les personnes emprisonnĂ©es doivent rester menottĂ©es pendant des jours, jusquâĂ provoquer des blessures graves aux poignets, aux bras et aux jambes. Un ancien mĂ©decin du camp explique que les amputations du fait de ces blessures relĂšvent de la « routine ».
Souvent laissĂ©es Ă moitiĂ© nues, elles portent seulement des couches et il leur est interdit dâaller aux toilettes. Ils et elles ont obligation de garder les yeux bandĂ©s, ont interdiction de bouger ou de parler. Ă la moindre dĂ©sobĂ©issance, les soldats les frappent pendant des heures, jusquâĂ provoquer des fractures des os et des cĂŽtes, ou les forcent Ă se tenir pendant des heures les mains au-dessus de la tĂȘte en les attachant aux barriĂšres.
La nuit, ces personnes sont menottĂ©es Ă leur lit, pendant que, sous prĂ©texte de fouille, les soldats lĂąchent des chiens sur les dĂ©tenu·es. Dans lâancien hĂŽpital militaire en annexe de la base de Sde Teiman, des dĂ©tenu·es, quasi-nu·es et menotté·es Ă leur lit, sont laissé·es Ă la merci de jeunes internes en mĂ©decine Ă qui lâarmĂ©e ordonne de mener des opĂ©rations pour lesquelles ils et elles ne sont pas formé·es.
Torture et viols de masse
LâenquĂȘte du New York Times dĂ©crit une vĂ©ritable institutionnalisation du viol et de la torture dans le cadre des interrogatoires. Les personnes emprisonnĂ©es, toujours les yeux bandĂ©s et vĂȘtues seulement dâune couche, sont dâabord maintenues dans des piĂšces oĂč est jouĂ©e une musique extrĂȘmement forte, au point de provoquer de saignements dans les oreilles, pour les empĂȘcher de dormir.
De plus, les tĂ©moignages recueillis par le New York Times dĂ©crivent de multiples mĂ©thodes de torture, parmi lesquelles lâemploi de chaises Ă©lectriques, et le viol au moyen dâune barre de mĂ©tal, peut-ĂȘtre chargĂ© Ă©lectriquement [5] sur laquelle les soldats assoient de force les dĂ©tenu·es.
Lâemploi de la violence sexuelle par lâarmĂ©e israĂ©lienne dans le cadre dâarrestations ou dâinterrogatoires est frĂ©quent : les fouilles Ă nu, souvent devant les familles, sont frĂ©quemment un prĂ©texte pour des agressions sexuelles et des viols [6].
Selon le New York Times, 4 000 personnes aurait connu lâenfer de Sde Teiman depuis octobre, et 35 morts seraient confirmĂ©es. Ce chiffre est probablement bien en-deçà de la rĂ©alitĂ©, dans la mesure oĂč lâoccupation refuse systĂ©matiquement de rendre les corps de celles et ceux quâelle assassine.
Le dĂ©mantĂšlement du systĂšme carcĂ©ral israĂ©lien, de ses camps de concentration, de sa dĂ©tention administrative, de son armĂ©e de tortionnaires, doit ĂȘtre au centre de nos prĂ©occupations pour la dĂ©colonisation de la Palestine.
Commission relations internationales
Exergue 1 : En juillet, 3 600 personnes en détention administrative Exergue 2 : Plus de 100 nouvelles structures ont été construites Exergue 2 : Plus de 100 nouvelles structures ont été construites
[1] Par exemple, une « lettre ouverte aux organisations qui convergent au sein dâUrgence Palestine », parue le 20 fĂ©vrier dernier sur Mediapart, reproche Ă Urgence Palestine dâĂ©crire que ne pas « faire mention des prisonniers palestiniens, hommes, femmes et enfants emprisonnĂ©s dans les geĂŽles israĂ©liennes, câest se faire le porte-voix de du gouvernement israĂ©lien et de son armĂ©e », renvoyant Ă cette phrase comme une preuve de lâindiffĂ©rence dâUP envers les otages israĂ©liens.
[2] IsraĂ«l est signataire dâune convention de lâONU sur le sujet, mais sâest bien gardĂ©e de la traduire dans ses lois â et pour cause. Voir lâarticle de Janan Abdu, « The writing was on the wall for Israelâs torture of prisoners », 972 mag.com.
[3] Les informations que nous avons Ă©tant extrĂȘmement partielles, la prudence est cependant de mise : il est possible que les tĂ©moignages dont nous disposons Ă ce jour ne soient quâune petite partie de la rĂ©alitĂ©.
[4] La plus grande partie des informations sur Sde Teiman publiées dans cet article proviennent de deux sources : « Sde Teiman : « Israeli whistleblowers detail abuse of Palestinians in shadowy detention center » CNN et, « Inside Sde Teiman, the Base Where Israel Detains Gazans. » New York Times.
[5] Un des témoignages évoque un « bùton électrique » (« electric stick »).
[6] Voir lâarticle de Yumna Patel : « New reports confirm months of Israeli torture, abuse, and sexual violence against Palestinian prisoners », Mondoweiss