A Douai, dans le Nord, une centaine de jeunes volontaires participent Ă  un « sĂ©jour de cohĂ©sion » de douze jours, dans le cadre du service national universel. Si les codes des militaires sont bien prĂ©sents, le programme est Ă©clectique et l’ambiance Ă©voque une colonie de vacances.

  • twinkletwinkletwink@lemmy.worldOP
    link
    fedilink
    arrow-up
    10
    arrow-down
    1
    ·
    1 year ago

    Le soleil tape dĂ©jĂ  en ce dĂ©but de matinĂ©e du 11 juillet quand la centaine de jeunes filles et garçons en uniforme – pantalon bleu marine, polos blancs et casquette siglĂ©s « SNU [service national universel]-jeunesse engagĂ©e » – prend place en rangs tout autour d’un terrain de sport du lycĂ©e agricole de Douai (Nord), transformĂ© depuis le 5 juillet en « carrĂ© de cĂ©rĂ©monie ». Ils ont entre 15 et 17 ans, viennent en grande majoritĂ© d’Ile-de-France et ne se connaissaient pas avant d’arriver. Pendant douze jours, ils vivent ensemble 24 heures sur 24 dans un site immense et verdoyant pour ce « sĂ©jour de cohĂ©sion », moment phare du service national universel pour lequel ces adolescents se sont portĂ©s volontaires.

    Il est 7 h 50 et ils le savent dĂ©sormais, ils n’ont pas intĂ©rĂȘt Ă  ĂȘtre en retard pour la levĂ©e des couleurs qui commence Ă  8 heures tapantes. Le silence se fait avant qu’une bande-son donne le dĂ©part de la levĂ©e du drapeau français, hissĂ© par deux volontaires sur un mĂąt fabriquĂ© pour l’occasion. Tous entonnent ensuite en chƓur la Marseillaise.

    Cette formation Ă  la citoyennetĂ© d’un nouveau genre, qui se dĂ©ploie non sans dĂ©bat et polĂ©mique depuis 2019 alors que l’idĂ©e de la rendre obligatoire a longtemps planĂ©, s’inspire de certains codes de l’armĂ©e sans ĂȘtre un service militaire. Les cent adolescents ont Ă©tĂ© rĂ©partis en deux compagnies, elles-mĂȘmes divisĂ©es en maisonnĂ©es. Mais pas de garde-Ă -vous ni de marche au pas
 Alors que cette cohorte doit participer aux cĂ©rĂ©monies du 14-Juillet Ă  Douai, il ne faut surtout pas dire que les jeunes dĂ©filent, ils « dĂ©ambulent ».

    « On a pris cher » L’uniforme ou la levĂ©e des couleurs ne posent pas question aux jeunes volontaires qui savaient dans quoi ils se lançaient. « On se sent Français, on comprend qu’on appartient Ă  une nation, rĂ©agit Sawsane Ben Bihi, adolescente originaire de Gennevilliers (Hauts-de-Seine). Avant ce sĂ©jour, je n’étais pas totalement au point sur les paroles de la Marseillaise », reconnaĂźt-elle. Matthieu Develet, Ă©lu « chef de compagnie » et originaire de Paris, avait envie de participer au SNU pour « vivre une expĂ©rience citoyenne » et « voir les valeurs de la RĂ©publique autrement, de maniĂšre plus concrĂšte et plus engagĂ©e ».

    A l’instar de Matthieu Develet et Sawsane Ben Bihi, les motivations des volontaires sont multiples. Il y a ceux qui sont attirĂ©s par les mĂ©tiers en uniforme, ceux qui espĂšrent valoriser cet engagement pour Parcoursup, ceux qui attendent « une expĂ©rience sportive » ou ceux qui sont « forcĂ©s par leurs parents » qui « prĂ©fĂ©reraient ĂȘtre la plage ». Pour tous, ce sĂ©jour, qui coĂ»te en moyenne 2 000 euros par personne Ă  l’Etat, est gratuit.

    Les premiers jours ont Ă©tĂ© difficiles, avec toutes les rĂšgles Ă  intĂ©grer. Les horaires doivent ĂȘtre respectĂ©s, les uniformes correctement mis, et des manquements rĂ©pĂ©tĂ©s au rĂšglement peuvent conduire Ă  un conseil de discipline. « On a pris cher », lance dans un Ă©clat de rire Maceo (les personnes citĂ©es par leur seul prĂ©nom souhaitent rester anonymes), lors du « conseil de maisonnĂ©e » du soir oĂč chaque participant peut exprimer ce qui lui a plu et dĂ©plu dans la journĂ©e. Leurs sanitaires n’étant pas nettoyĂ©s correctement, ils ont dĂ» faire des pompes et des tours de terrain en courant, en guise de punition. Depuis, les sanitaires sont propres, et les jeunes ont pris leurs marques.

    « Nous avons imposĂ© un cadre strict », reconnaĂźt Laurent Richez, le directeur du sĂ©jour, qui plaide pour « la rigueur et la bienveillance ». Ce sapeur-pompier professionnel, habituellement chef de service citoyennetĂ© pour le service dĂ©partemental d’incendie et de secours du Nord, s’est interrogĂ© avant de prendre part au dispositif : « Comment changer la donne en douze jours ? » Mais il a dĂ©cidĂ© de retrousser ses manches, convaincu de l’utilitĂ© d’un service national : « A leur Ăąge, les jeunes sont des Ă©ponges, c’est le bon moment pour leur inculquer des valeurs et la nĂ©cessitĂ© de cohĂ©sion », alors que « la France enchaĂźne les crises ».

    Il a pu constituer son Ă©quipe composĂ©e de sapeurs-pompiers, de policiers, de rĂ©servistes, d’une assistante dentaire ou encore d’étudiants. Au niveau national, un tiers des encadrants viennent de l’éducation nationale, un tiers de l’éducation populaire et du monde associatif et un tiers sont d’anciens militaires, pompiers ou gendarmes.

    De 8 h 30 Ă  20 h 30, les activitĂ©s s’enchaĂźnent Ă  un rythme soutenu. La journĂ©e du lundi, consacrĂ©e Ă  la sĂ©curitĂ© intĂ©rieure, a marquĂ© les esprits. Des policiers, des gendarmes et des sapeurs-pompiers sont venus prĂ©senter leurs mĂ©tiers et les volontaires ont ensuite participĂ© Ă  une reconstitution d’accident de la route. MĂȘme s’ils en parlent peu, les Ă©meutes, provoquĂ©es par la mort de Nahel M., tuĂ© par un policier le 27 juin Ă  Nanterre, sont dans toutes les tĂȘtes. « J’avoue, le policier a rĂ©ussi Ă  me faire changer d’avis sur sa profession. Je n’en avais pas une bonne opinion mais j’ai pu comprendre leurs difficultĂ©s », reconnaĂźt Maceo. Moustapha, qui vit Ă  Nanterre et Nathan, qui habite Paris et a participĂ© Ă  la marche blanche en hommage Ă  Nahel M., adoptent aussi un autre regard. « Il ne faut pas faire de gĂ©nĂ©ralitĂ©s. Les policiers ont des torts mais les casseurs aussi », jugent-ils aujourd’hui.

    « Belles rencontres » En ce mardi matin, aprĂšs la levĂ©e des couleurs, un groupe se rend Ă  une sĂ©ance de handibasket animĂ© par Kevin, paraplĂ©gique depuis un accident de scooter lorsqu’il avait 16 ans. D’autres, restĂ©s au lycĂ©e, prennent part Ă  un jeu sur la construction europĂ©enne. L’aprĂšs-midi, deux heures sont consacrĂ©es Ă  l’éducation Ă  la vie affective et sexuelle. De la contraception aux violences conjugales, tous les sujets sont Ă©voquĂ©s librement. Les participants doivent mĂȘme reconstituer le « violentomĂštre », cet outil qui permet de mesurer le degrĂ© de violence au sein d’un couple. À l’autre bout du couloir, la Banque de France initie Ă  la tenue d’un budget et aux notions d’épargne ou de crĂ©dit.

    Difficile de dĂ©finir ce service national universel tant il joue sur plusieurs registres : un cadre strict, un programme Ă©clectique qui balaie tous les pans de la citoyennetĂ© et une ambiance de colonie de vacances entre ces adolescents, dont le sujet de conversation favori reste les idylles naissantes ou supposĂ©es au sein de la promotion. « Le SNU, ce n’est ni l’armĂ©e ni l’école ni la colo », affirme Pierre Allepaerts, chef de projet du dĂ©partement du Nord, tout en reconnaissant : « On sait bien dire ce que ce service n’est pas, peut-ĂȘtre un peu moins ce qu’il est. »

    Que retiendront les volontaires de Douai de leur sĂ©jour ? Neuf engagĂ©s sur dix se disent satisfaits de leur expĂ©rience, selon les Ă©tudes de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire. Les jeunes franciliens Ă©voquent avant tout « les belles rencontres » qu’ils ont pu faire ou leurs « nouveaux amis ». « On tisse des liens avec des gens qu’on n’aurait pas connus autrement », remarque Moustapha. Une cohĂ©sion naissante, parmi des jeunes qui dans leur grande majoritĂ© ont choisi d’ĂȘtre lĂ .

    Un nouveau dĂ©ploiement du SNU sur le temps scolaire Le service national universel (SNU) poursuit son dĂ©ploiement malgrĂ© ses contradictions. Ils Ă©taient 2 000 jeunes à l’expĂ©rimenter en 2019, 14 600 en 2021, 32 000 en 2022 et 23 000 entre janvier et juin 2023. Si l’idĂ©e de le rendre obligatoire – ce qui nĂ©cessiterait une loi – s’éloigne pour le moment, sa « gĂ©nĂ©ralisation » est toujours dans les tuyaux. Il va ĂȘtre expĂ©rimentĂ© sur le temps scolaire Ă  partir de 2024 pour des « classes et des lycĂ©es engagĂ©s » volontaires. Cela devrait changer la physionomie du public accueilli. En 2022, 5 % des volontaires venaient d’un quartier prioritaire de la ville, alors qu’ils constituent 8 % des 15-17 ans en France, et un tiers avait un parent travaillant dans les corps en uniforme qui reprĂ©sentent 2 % de la population gĂ©nĂ©rale. AprĂšs le sĂ©jour de cohĂ©sion de douze jours, une mission d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral doit ĂȘtre effectuĂ©e au sein d’une association, de l’armĂ©e, de la gendarmerie ou des pompiers. Seul un peu plus d’un jeune sur deux rĂ©alise cette seconde Ă©tape aujourd’hui.

  • RepentedAlex@lemmy.world
    link
    fedilink
    arrow-up
    9
    ·
    1 year ago

    « L’aprĂšs-midi, deux heures sont consacrĂ©es Ă  l’éducation Ă  la vie affective et sexuelle. [
] À l’autre bout du couloir, la Banque de France initie Ă  la tenue d’un budget et aux notions d’épargne ou de crĂ©dit. »

    Euh, je suis le seul qui trouve que ces deux thĂšmes auraient plutĂŽt leur place Ă  l’école ? Par exemple, j’ai l’impression qu’ils veulent se servir du SNU pour dĂ©charger de l’éducation sexuelle des heures d’écoles pour recoller ça ailleurs


  • Resethel@lemmy.world
    link
    fedilink
    arrow-up
    8
    arrow-down
    1
    ·
    edit-2
    1 year ago

    HonnĂȘtement, je comprends pas l’intĂ©rĂȘt du SNU.

    Si on veut vraiment faire de la « cohĂ©sion », autant subventionner les communes pour qu’elles puissent de nouveau organiser des colos comme c’était souvent le cas par le passĂ©.

    Ça motive plein de jeunes à passer leur BAFA, ça permet à un maximum de personnes de partir en vacances, et ça sera toujours mieux organiser qu’un truc de l’Etat et ça ferait moins nationaliste


      • Resethel@lemmy.world
        link
        fedilink
        arrow-up
        4
        ·
        edit-2
        1 year ago

        Mais est-ce qu’on a besoin de saluĂ© un drapeau, chantĂ© la Marseillaise et participer Ă  un camp + service dans l’armĂ©e/police/gendarmerie pour se sentir Français ? Surtout dans ce cas, les gens s’attachent Ă  des symboles d’état, et Ă  son autoritĂ©. Pas sĂ»r que ce soit une bonne chose.

        • rakoo@blah.rako.space
          link
          fedilink
          arrow-up
          3
          ·
          1 year ago

          @Resethel @Eikichi

          Le but des SNU n’est pas de se sentir Français.e mais de rĂ©tablir l’obĂ©issance Ă  la hiĂ©rarchie. Avec un climat et une biodiversitĂ© qui se barre en live, des inĂ©galitĂ©s qui ne font que grimper et un appĂ©tit de la bourgeoisie qui n’arrĂȘte pas d’augmenter, le seul moyen pour la bourgeoisie de tenir la sociĂ©tĂ© est de virer vers plus d’autoritarisme. Le SNU vise Ă  inculquer la dĂ©fĂ©rence envers les symboles de l’Etat, et donc l’obĂ©issance Ă  quiconque le dirige, pour que l’autoritarisme des dĂ©cennies Ă  venir passe plus facilement

          • Resethel@lemmy.world
            link
            fedilink
            arrow-up
            2
            ·
            edit-2
            1 year ago

            C’est le principe de la « dictature de la bourgeoisie » tel qu’énoncĂ© par Karl Marx !