La ZAD n’a pas à être le seul imaginaire pour une société non-capitaliste

Bon, je viens de voir passer ces appels à «déserter» aux jeunes ingés et qui les enjoint à aller en ZAD. Sans remettre en cause l’utilité de ces dernières (allez en voir si vous l’avez jamais fait, c’est a minima de la culture gé et de la culture politique) ça me parait vraiment pauvre de limiter la société non-capitaliste aux gens en guerre ouverte et absolue contre ce dernier. Surtout pour les ingés, qui ont en fait un nombre de possibilités bien plus grands en termes de collaborations ou de communautés.

À commencer par le plus grand succès anarcho-communiste de l’histoire, qui va des pays les plus pauvres au coeur de la Silicon Valley: le mouvement open source. Travail volontaire, mise à disposition gratuite, protections éventuelles contre la marchandisation et la merdification, ce mouvement fait fonctionner internet et la plupart des technos qui ont rendu possibles la moitié des innovations informatiques. Il est à la base de la révolution de l’IA en cours, terrain de bataille où, vous ne l’entendrez pas dire dans les médias économiques, on est en fait en train de gagner.

95% de ses membres ne se revendiquent pas de l’anarcho-communisme ni de l’anti-capitalisme, et pourtant ce mouvment l’est. Le logiciel est un domaine qui est en grande partie libéré de la logique capitaliste.

Le mouvement open hardware, son plus jeune rejeton, est plus petit et se cherche des modèles, mais a alimenté la popularité des imprimantes 3D, des arduino et autres Raspberry Pi. On y fait également des téléphones, des laptops mais aussi des outils agricoles, des éoliennes, des véhicules alternatifs…

Oui mais physiquement, ça se passe où?

Ça se passe dans les hackerspaces, fablabs, tiers-lieux, universités, garages, fermes, dans une diversité d’assoces et parfois même d’entreprises.

Je vous sens tiquer un peu au mélange des genres. Laissez moi ajouter à la confusion.

On peut se faire de l’argent en dehors du capitalisme

Ça c’est pour répondre à l’idée selon laquelle il faut avoir des revenus indépendants pour «vivre en dehors du capitalisme», ce qui ne devient alors qu’un passe-temps de riches et d’enfants de riches.

Conseil: quand on vous parle de capitalisme, que ce soit pour en dire du bien ou du mal, posez vous la question de la définition utilisée. Il y en a des dizaines, très différentes. Pour mon présent propos, le capitalisme est un système dans lequel on peut, et on trouve légitime, de faire «travailler» son capital: prêts, investissements immobiliers, ou, dans le cas qui nous intéresse ici, investissement dans des entreprises et exploitation de salariés. Le capitalisme, c’est un système qui permet aux riches de créer des rentes par la simple existence de leur capital.

Je ne défends pas cette définition comme la seule ou la meilleure, je précise juste ce dont je parle ici. C’est une définition relativement restreinte. Elle n’exclut pas les transactions commerciales ni même les marchés. Ça n’exclut pas les contrats de travail, les inégalités ou la propriété privée.

On vit dans une économie capitaliste, certes, mais pas que. Au sein de cette même économie, vous trouverez tout un ensemble d’acteurs non-capitalistes tout à fait acceptés, tolérés et parfois même encouragés tant par la population que par l’état. Associations, coopératives, mutuelles, régies, administrations publiques, labo publics, toutes ces choses sont des modes d’organisation qui ne sont pas capitalistes et qui sont tout à fait intégrés au tissu économique et promeuvent des modèles radicalement différents, généralement de façon tout à fait consciente, des entreprises privées et leur font «la guerre» sur différents marchés.

Il y a 15 ans, peut-être en recherche de modes de désertion, mon premier contact avec ce monde a été via des bénévoles de Planète Science, association éducative qui organisait, entre autres, feu la coupe E=M6 de robotique et des campagnes de lancement de fusées amateur. Et je trouve là des gens bac+5 comme moi qui sont ravis de toucher le SMIC pour faire quelque chose qui les passionne.

J’ai ensuite bourlingué dans (et créé) des hackerspaces et fablabs (généralement assoces loi 1901), dont aujourd’hui je doute un peu du modèle, mais ça valait le coup d’essayer. Je me plonge désormais dans le monde des SCOP et SCIC, qui sont à mon sens les meilleurs outils à notre disposition pour battre le capitalisme sur son propre terrain (SCOP=les employés sont actionnaires à égalité, SCIC=employés, utilisateurs, collectivités participent aux décisions). Mais ce post est déjà assez long, dites moi si vous voulez que je développe un peu avec les quelques connaissances que j’ai sur le sujet.

tl;dr Vous vivez déjà entouré de groupes non-capitalistes. Pas besoin d’aller jusqu’aux ZADs pour résister, il y a des bastions bien plus près de chez vous.

  • Camus [il/lui]
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    7 months ago

    Je sais que je chipote sur des points terminologiques mais le choix des mots justes est important quand on veut soutenir une idéologie. Je ne suis pas anarchiste, je ne suis pas communiste et je connais probablement peu sur ces deux mouvements pour débattre de la place du Libre et de l’opensource en leur sein. Mais je me revendique libriste, et je ne le ferais pas si je n’étais pas accord avec les idées qu’il y avait derrière. Des idées qui sont différentes des mouvements politiques que tu cites et qui ne se rattache d’ailleurs à aucun parti en particulier.

    Je suis assez d’accord avec toi, après je sais que la distinction open source/libre est parfois un peu méconnue

    • pseudo@jlai.lu
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      7 months ago

      la distinction open source/libre est parfois un peu méconnue

      Je dirais que les partisans de l’un sont partisans de l’autre. Moi-même je me dis libriste mais j’utilise quotidiennement des logiciels propriétaires et ma conscience s’en porte bien.
      Par contre, quand il s’agit de choisir une licence pour ses œuvres, j’imagine qu’il faut faire plus attention à la différence.

        • keepthepace@slrpnk.netOP
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          7 months ago

          Je considère ça synonyme, mais je vais corriger le texte pour être moins ambigu. Pour ma gouverne personnelle, y a des exemples récents de projets open source mais pas libres?

          • Camus [il/lui]
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            7 months ago

            Voici un schéma avec la nuance : https://www.gnu.org/philosophy/categories.fr.html

            Assez souvent, je vois passer des logiciels qui se disent “open source”, mais quand tu cherches un peu, ils ne permettent pas vraiment d’utiliser leur solution à part via un compte hébergé chez eux. Je n’ai plus d’exemple sous la main, mais c’est assez fréquent quand open source est juste utilisé comme terme marketing